Chapitre 7

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Burrhus débarqua à Kokab, capitale de Hod, après une semaine de voyage solitaire. L’évêque de Sicad n’avait pas emporté ses séraphins kéthériens avec el, ces derniers accompagnant les azohim et les enfants de la planète détruite à l’abri. El avait pris seul une place dans un vaisseau de transports public, sa basse génération lui accordant d’office une cabine confortable. Tout du long, les autres passagers avaient regardé avec curiosité l’énorme séraphin circuler parmi els. Burrhus était resté stoïque, indifférent, mais en el tonnait un orage intérieur presque sans précédent.

Les images éthérées de Phosphoros dans le réseau souterrain des monolithes de Sicad lui revenaient sans cesse. À quelques heures près, el aurait pu l’avoir et étouffer son incendie meurtrier avant qu’il ne se propage à toute la Création. 

Mais en arrivant à Kokab, d’autres souvenirs vinrent hanter le séraphin. El observa la cité au travers d’une baie vitrée du célestoport. El n’était pas revenu ici depuis la guerre. El y avait transité dans un vaisseau clandestin des azélites, fuyant de Kether après le Grand Sacrifice, accompagnant Kokab. El se souvint du chaos de la ville aux tours argentées, qui portait le nom de sa souveraine d’antan. Cette dernière était venue réunir ses alliés en son royaume. Mais le conflit entre éléites et azélites était bien entamé, et la souveraine était en danger dans son propre nid. Burrhus se souvint du bruit des rafales, des bombes, et des rivières de sang doré se mêlant à celles de mercure. El se souvint des affrontements entre azohim et élohim. Puissantes contre puissances. Valkyries contre séraphins. Élohim contre élohim aussi. Le Porteur de Lumière s’était-il attendu à ce que tous ses sujets livrent leurs épouses et leurs mères sans broncher ? Ou bien savait-el qu’el allait déclencher une guerre civile ? À ses yeux surement, une Seconde Brisure, cette fois entre les enfants d’EL els-mêmes, était le prix à payer pour sauver la Création. 

Un projet fou. Pour quel résultat ?

Burrhus revit alors Nukvah elle-même, ressentit encore le souffle de sa frappe. Cette grande arme de destruction massive était issue du Grand Sacrifice des azohim. Tant de souffrance. Une souffrance effacée à présent. La guerre était finie, sa véritable nature dissimulée aux nouvelles générations d’élohim. Ces dernières déambulaient dans la galaxie-Kokab à toute allure. Leurs voix joyeuses, énervées, toujours impatientes, résonnaient dans le réseau EL. Seuls les élohim circulaient librement. Les azohim, elles, avaient disparu des courants aériens, des célestoports, des galeries commerciales. Elles étaient à présent cloitrées dans les gynécées, à s’occuper de leurs enfants. Le Porteur de Lumière était mort trop tôt pour finir son œuvre sinistre. 

El ne devait pas revenir.

Burrhus progressa dans les couloirs du célestoport. Ces derniers, bien que faisant des centaines de mètres de haut et de large, étaient bondés, saturés par les lumières multicolores des halos des passagers en transit. Le séraphin colossal déambula parmi la foule, non sans attirer les regards. Sortant de la ruche, Burrhus embarqua dans un vaisseau de transport citadin pour rejoindre le centre-ville. À l'intérieur, une foule dense d'élohim se pressait entre les sièges, leurs ailes chatoyantes repliées contre leurs dos pour ne pas gêner leurs voisins. Les passagers, malgré l'exiguïté, s’étaient accommodés de cette promiscuité en créant des petits mondes à eux, s’isolant dans leurs discussions ou distractions. Certains scrutaient leurs boules de cristal, qu'els tenaient à bout de bras, absorbés par des débats animés sur le réseau EL. D’autres discutaient à haute voix des dernières nouvelles. 

— Guebourah nous demande encore des renforts… Els savent plus se défendre tout seuls ?

— Qui a envie d’aller se sacrifier sur le front de l’Abysse ?

— Ennead pourrait aller les aider. Els sont rentrés de Malkouth plus tôt que prévu, il parait. 

— Vous avez entendu la rumeur sur le Fitzarch ? Un nobl’aile en pénitence publique… On n'avait pas vu ça depuis longtemps…

Lorsque Burrhus entra dans le vaisseau, sa présence imposante fit instantanément retomber une vague de silence sur l’habitacle. Les passagers le dévisagèrent avec un mélange de fascination et de crainte. Le séraphin massif occupait à lui seul un espace considérable. Son aura brûlante et son visage sévère créaient une distance naturelle entre el et les autres. Certains élohim s’écartèrent légèrement, murmurant entre els, leurs regards se détournant rapidement dès qu'el les croisait. Le halo de Burrhus, bien que plus discret qu’il ne pouvait l’être en pleine bataille, irradiait tout de même d’une chaleur menaçante. On devinait, sous son apparente sérénité, une force prête à se déchaîner à tout moment. Mais quelques élohim bravèrent leur appréhension et les yeux remplis de ferveurs, vinrent demander des bénédictions au séraphin. 

— Que la ferveur du Porteur de Lumière brûle en toi mon enfant, bénit Burrhus, de sa voix grave mais chaleureuse. 

Entre les sollicitations, Burrhus observa avec amertume la ville défiler sous ses yeux, au travers de la coque de cristal du vaisseau. Les tours scintillantes de Kokab se dressaient dans toute leur majesté, hautes de plusieurs dizaines de kilomètres pour certaines. Leurs structures de mercure et d’argent brillaient sous la lumière diffuse des halos des habitants. D’innombrables vaisseaux circulaient entre elles, le reliant en un réseau scintillant. Des chants cérémonieux résonnaient dans l’espace, portés par les voix des séraphins et des principautés. Els chantaient les louanges du Porteur de Lumière et de son fils Sandalphon, qui avaient tous deux longtemps régné sur Hod. Sandalphon, fils de Kokab, avait fait rebâtir la cité après la guerre civile qui avait emporté sa propre mère. El avait utilisé les pouvoirs du Méta-Mercurion, un être étrange issu de sa graine, pour bâtir les tours de mercure et juguler le liquide. Burrhus aperçut les fleuves de mercure gorgés d’âmes qui convergeaient vers le Sanctuaire. 

À mesure que le vaisseau progressait vers le centre-ville, il se remplit encore plus.  À chaque station, les élohim montaient et descendaient par vagues, le bruit des ailes et des murmures remplissant l’air à nouveau. Arrivé devant la cathédrale Notre Fils de la Miséricorde, Burrhus se leva lentement, imposant une dernière fois sa stature sur les passagers restants. Els s’écartèrent pour le laisser passer, comme un roi traversant une marée lumineuse. El descendit du vaisseau sans un mot, ses ailes repliées formant une cape sombre derrière el. 

Burrhus traversa l’esplanade devant la cathédrale à pied. Au-dessus, une ruche de vertus déchainées narguait les prêtes séraphins qui tentaient de les rappeler à l’ordre devant le culte d’EL, en vain. Burrhus ne manqua pas d’attirer leur attention. 

— Hé ! C’est qui ce gros-là ?

— El ne vient pas d’ici !

Un groupe de vertus curieuses s'approcha de Burrhus, l’assaillant de questions. 

— T’es qui ?!

— Tu fais quoi sur notre place ?! 

— C’est nous les patrons ici !

Burrhus observa le chaos. La colère fit crépiter son halo. Un tel désordre était indigne face au culte d’EL. Sandalphon et ses descendants permettaient aux vertus de provoquer l’Ecclésia sans conséquences. Intolérable. Face au stoïcisme apparent de Burrhus, les vertus s’énervèrent et redoublèrent leurs provocations. 

— C’est notre royaume ici ! Dehors les séraphins ! 

— Dehors les bigots !

Le halo crépitant de Burrhus s’étendit et par la force de ses flammes, el repoussa les fils de Sandalphon. La ruche, piqué à vif, fondit sur le grand séraphin. L’incendie de Burrhus grandit. La conflagration s’étendit à mesure qu’el approchait des portes de la cathédrale. Les prêtres séraphins s’affolèrent. 

— Qui est ce colosse ?!

— Je suis Burrhus, évêque de Sicad tellurique, monde-fertile du Royaume de Malkouth. Je demande audience à l’évêque de cette cathédrale, monseigneur Montséron. 

Les prêtres regardèrent Burrhus de haut en bas, les yeux ébahis. Le colosse, vu la puissance de son halo, était de toute évidence un nobl’aile. Ce monde de Sicad devait être très important. Els firent donc entrer Burrhus dans la cathédrale et le menèrent à l’évêque Montséron. Ce dernier était en plein office, devant une marée d’élohim, proclamant des chants de vénération. Là encore, Burrhus attira l’attention. L’évêque finit par le prendre à part. 

— Que puis-je faire pour vous mon frère ?

— J’ai entendu dire que Michaël Fitzarch faisait sa pénitence ici-même. Je souhaite y participer.

Montséron lança un regard incrédule à Burrhus. 

— Je ne vois pas en quoi cela vous concerne…

— Je suis, ou plutôt, j'étais, l’évêque de Sicad. 

— Sicad… cela me dit quelque chose…

— C’est lors de la bataille pour ma planète que Michaël Fitzarch a commit l’irréparable. Par ses actions, el a causé la mort d’une grande partie des gardiens de la planète. 

L’évêque fronça les sourcils, confus. 

— Ennead m’a envoyé cet enfant pour une simple désobéissance… 

— Ennead ne semble pas vous avoir tout dit. 

Monseigneur Montséron grommela. Burrhus se réjouit intérieurement. El avait touché une corde sensible. 

— Lorsque les représentants de l’archange Raphaël sont venu à moi, els m’ont simplement expliqué vouloir impressionner un jeunot rebelle. Mais quand je les ai interrogé sur les faits, els se sont montré pour le moins évasifs. 

— Que vous ont-els dit ?

— Que son impétuosité avait créé le désordre lors d’une opération à Malkouth.

— Et vous n’avez pas cherché à en savoir plus ?

— Si. El s’est montré particulièrement… indisciplinée et revêche durant sa pénitence. El a refusé la main de la Miséricorde et a fini dans le Transept du Jugement. 

— Je l’ai vu moi aussi, sur Sicad, son comportement est hérétique et mérite une pénitence bien plus approfondie; 

Montséron soupira. 

— Je ne peux pas me le permettre. Les relations entre l’Ecclésia et les chapelles des vertus de Hod sont déjà assez difficiles comme ça, empoisonnées par des millénaires de ressentiment. Les fils de Sandalphon se sentent en tout point supérieurs à nous. Car le Porteur de Lumière leur a donné les rênes de ce royaume il y a bien longtemps, à nos dépens, et nous ne pouvons rien y faire. Vous, étranger, vous ne pouvez pas comprendre…

— En tant que chef du culte d’EL, votre devoir est d’éradiquer l’hérésie, quelle quelle soit, peu importe les tensions politiques. De là où je viens, une telle chose ne serrait pas tolérable. 

— Et d’où venez-vous exactement ? Vous ne rassemblez pas à un de ces pâles malkouthien. Votre peau noire…

— Je suis né à Kether, avoua Burrhus. Au pied de la Couronne. 

Monseigneur Montséron frémit, les yeux ébahis. 

— Donc vous êtes descendus de la tête aux pieds de la Création pour être l’évêque d’un monde-fertile plus que mineur ?!

— La valeur d’un monde fertile ne se détermine pas à sa taille. L’Ecclésia y possédait des intérêts de grande valeur, qui ont été détruits par la faute du Fitzarch. 

— Quels genre d’intérêts ? demanda Montséron, trop curieux. 

Les traits de Burrhus se durcirent. Mais el joua la carte de la transparence. 

— La tombe de Kokab, ça vous dit quelque chose ?

Le visage de Montséron se décomposa. Le séraphin n’était pas un vétéran de la Seconde Brisure. El ne savait donc rien de sa véritable nature de guerre civile. Mais el connaissait la figure de Kokab. L’azoha avait été reine consort du royaume des millénaires durant et ça, le Porteur de Lumière el-même n’avait pu l’effacer de la mémoire collective. 

— Kokab ? J’avais entendu des rumeurs que sa tombe était quelque part à Malkouth mais…

— Eh bien voilà… Voilà ce qui a été détruit, révéla Burrhus. 

Sidéré, Montséron entraina Burrhus dans les hauteurs de la cathédrale, où se trouvaient ses quartiers. Contrairement aux structures de mercure, omniprésentes dans la capitale, le domaine de Montséron était pavé de marbre strié d’or, à la mode kéthérienne. El invita Burrhus à s’installer dans un de ses salons. 

— Vous doutez bien qu’il va falloir que je vérifie un tant soit peu vos propos, souffla l’évêque. 

— Naturellement. Le Porteur de Lumière nous enseigne de toujours chercher la vérité auprès de plusieurs sources avant d’agir. Surtout quand il s’agit d’inquisition… Comme on dit sur les mondes fertiles de Malkouth, le mal peut avoir des racines profondes et il convient de bien sonder le sol pour toutes les arracher. 

Montséron, qui n’avait aucune idée de ce qu’étaient des racines puisqu’el n’avait jamais vu de plante, grommela qu’el devait réunir un conseil.

— Faites remonter cette affaire jusqu’au Métatron si nécessaire. Je sais qu’el me donnera raison.

— Voilà une bien étrange proposition, s’étonna Montséron. Mais c’est plutôt à l’archange-roi Daniel el-même que je vais parler de tout cela. C’est el qui a l’autorité sur ce royaume. La Couronne du Métatron est bien lointaine. 

— L’archange-roi Daniel vous donnera une vérité qui l’arrange. N’oubliez pas qu’Ennead est la chorale de son fils, et qu’el est responsable des agissements du Fitzarch. Confirmez plutôt mes propos auprès de la Couronne de Kether elle-même. Là est le cœur de notre Ecclésia. Là est le cœur de notre culte. Là est EL. 

Montséron hocha la tête et demanda :

— Êtes-vous logé quelque part ?

— Je comptais demander asile au nid de la cathédrale.

— Vous êtes le bienvenu. 



La nouvelle de l’arrivée de Burrhus se répandit rapidement dans le centre-ville, avec la rumeur persistante qu’el se trouvait là pour régler ses comptes à un certain Fitzarch. Les séraphins autour de Monseigneur Montséron n’avaient pas su tenir leur langue, ou plutôt, les vertus qui les harcelaient en ruche ne les avaient pas lâchés avant de comprendre qui était le mystérieux colosse qui les avaient envoyés valdinguer.

Burrhus s’installa dans la cathédrale et participa aux vénérations. Son incendie immense se fondit dans le brasier ambiant en emporta de nombreux séraphins dans une transe. L’évêque de Sicad se tint debout au pied de la statue du Porteur de Lumière et accorda des bénédictions, terrifiant autant les élohim qu’el les fascina. Les vertus lui lancèrent des regards défiants, mais les séraphins els, l’observèrent avec adoration. Les prêtres avaient été témoins de la pénitence de Michaël et lui racontèrent tout. 

— Ça s’est mal passé pour el…

— Les Fitzarch et les nobl’ailes n’ont pas l’habitude qu’on leur remonte les bretelles ici. Els se croient tout permis. 

— Je l’avais remarqué, se contenta de répondre Burrhus. 

Le colosse ne tarda pas à recevoir de la visite d’élohim importants. Des membres d’Ennead vinrent l’observer, tenant cependant leur distance. De nombreux Fitzarch aussi. Burrhus n’hésita pas à plonger son regard doré dans le leur. Parmi els, seul Brenna des HodArch le soutint. Burrhus reconnut les yeux rêveurs d’un oniromancien et s’en méfia. Cet archange pouvait pénétrer ses songes, fouiller sa mémoire. El se confronterait alors au voile du secret posé par son propre Père, le Grand Architecte, et se demanderait ce qui pouvait bien se cacher dessous. 

— Que voulez-vous à notre Michaël ? demanda Brenna sans détours. 

— Je veux éteindre l’hérésie qui grouille en el, répondit le séraphin. 

— Quelle hérésie ? Michaël n’est pas corrompu. Juste jeune et impétueux. El a déjà fait sa pénitence. 

— El a tout de même tué. 

— Vous dites n’importe quoi. Les gardiens de Sicad auraient rencontré le même destin, que Michaël ait été là ou non.

— Je ne parle pas uniquement des sicadiens. 

Le regard de Brenna se durcit brusquement. Ses traits se crispèrent. Mais el tint bon. 

— De quoi parlez-vous donc ? Dites les choses clairement. 

— Qu’est-il arrivé à la domination Constantiel ? 

Brenna ne répondit pas.

— Mes ophanim étaient présents lors de la bataille, continua Burrhus. Els ont vu bien des choses. 

— Vous ne direz rien de ce que vous avez vu.

— Ah ? Est-ce une menace ?

— Oui, asséna Brenna. C’est toute la Guilde des Architectes et toutes les chapelles de Hod qui vous tomberont dessus si vous osez diffamer sur notre Michaël. 

— Quelle solidarité. Je me demande ce qui fédère autant tout ce beau monde autour d’un Fitzarch hérétique. 

— Vous êtes amer. Vous avez perdu votre monde-fertile et c’est fort malheureux. Mais ce n’est pas la faute de Michaël. Les démons ont fait leur œuvre et Nukvah a dû frapper, c’est ainsi. Acceptez votre destin. Retournez donc à votre Kether natale et laissez-nous tranquille. 

Burrhus sourit, amusé. Un fait rare. 

— Michaël Fitzarch est incontrôlable. Un feu spécial brule en el, vous le savez. Il doit être circonscrit avant un nouveau désastre. 

— Vous ne savez pas de quoi vous parlez, souffla Brenna en secouant la tête. Passez votre chemin. 

Burrhus ne dit rien. Stoïque, el fixa Brenna intensément. L’archange ressentit le feu intérieur qui l’animait et ne tint plus. Avant de partir, el lança un dernier avertissement. 

— J’ai dit tout ce que j’avais à dire. Persistez donc et vous vous cognerez très fort.

Burrhus leva un sourcil circonspect. El laissa Brenna s’en aller. 

Le lendemain, un autre visiteur de noble graine vint rencontrer Burrhus. Ce dernier, toujours installé en majesté au pied de la statue du Porteur de Lumière, vit arriver une vertu habillée de mercure. El était très grand, svelte et blond, son teint halé. Burrhus lut dans son halo de mercure qu’el était l’archange-prince Saël, demi-frère de l’archange-prince Raphaël. 

Saël arriva en ondoyant entre les prêtres séraphins qui entouraient Burrhus. El le salua d’un air suffisant, une étincelle de malice dans ses yeux.  

— Eh bien, eh bien, le voilà le fameux séraphin venu d’ailleurs, admira Saël. On ne parle que de vous à la Cour. Comment allez-vous ?

Burrhus toisa Saël, stoïque. 

— Rares sont ceux qui osent venir me saluer, observa-t-el.

— Vous leur faites peur ! s’amusa Saël. On voit rarement un colosse comme vous par ici. Vous ne passez pas inaperçu et figurez-vous votre passage créé des remous !

— Des remous ?

— D’aucun aurait pensé que vous feriez de l’ombre à notre évêque, mais il semble plutôt que vous l’ayez enhardi. El ne cesse de brandir la menace d’une excursion inquisitrice chez Ennead depuis le petit couac qu’els ont causé sur Sicad.

— L’expression “petit couac” n’a rien d’approprié pour décrire ce qu’il s’est passé sur ma planète à cause d’Ennead, gronda Burrhus. Plus précisément, à cause de Michaël Fitzarch. Cet enfant a une graine d’hérésie en el que je me doit d’éradiquer. Un jugement pour l’injustice qu’el a causé. Une miséricorde qui sauvera son âme. 

— Oui, oui, eh bien… Si seulement Raphaël le permettait… 

— Je dois lui parler.

— Mais el n’y a aucun intérêt, expliqua Saël. Raphaël n’a pas envie que quiconque mette le nez dans ses affaires, surtout pas l’inquisition. Et toutes les chapelles de Hod feront bloc avec el. Après tout, les vertus détestent les séraphins depuis bien longtemps ici. Els ne soutiendront jamais une inquisition parmi les leurs. 

— Je le sais. L’archange Brenna me l’a déjà expliqué. C’est pour me dire cela que vous êtes venus vous aussi ?

— Eh bien…

Saël s’assied auprès de Burrhus, s’approcha d’el pour lui murmurer. 

— Certains parmi la Cour de Hod s’agacent de l’impunité dont bénéficient Raphaël et ses chorales depuis longtemps. Raphaël est le fils favori de mon père, son héritier présomptif. Son esprit brillant a ébloui bien du monde, au-delà même de Hod. Mais ainsi ébloui, les élohim, nobl’ailes comme peupl’ailes, ne voient pas la face sombre de Raphaël. 

— Les nobl’ailes comme el, je dirai même comme nous, ont tous une face sombre, philosopha Burrhus. Il est difficile d’être archange-prince tout en gardant ses mains propres, surtout lorsqu’on s’implique sur le front. Des sacrifices sont faits. Des erreurs de jugement. Heureusement, nos chapelains de l’Ecclésia veillent à ce que cette face sombre ne se transforme pas en hérésie. 

— Figurez-vous qu’aucun chapelain n’exerce chez Ennead. Leurs actes quotidiens, leurs méthodes douteuses, ne sont pas analysés de l’intérieur par un agent impartial de l’Ecclésia. Seuls des observateurs extérieurs critiquent Ennead, lorsqu’els l’osent. 

Burrhus feint la surprise. Les flammes de son halo pulsèrent sous l’indignation.

— Cela explique la graine d’hérésie dont j’ai été témoin, grommela-t-el. 

— Monseigneur Montseron a laissé passer cela longtemps, se lamenta Saël. L’influence de Raphaël était trop grande pour qu’el ose le contrarier. Mais depuis votre arrivée, el ose ! El ose ! Et les membres de la Cour commencent à s’en embarrasser. 

— Saël, vous semblez conscient du problème. Vous ne défendez pas votre frère auprès de moi, comme l’a fait Brenna.

— Pourquoi défendrai-je mon demi-frère ? corrigea Saël. Je vois bien la dégénérescence qu’el couve dans ses chorales et les ténèbres qu’el amène sur notre royaume. Je suis l’un des seuls qui ose en parler. Et cela me vaut bien des problèmes. Mes pairs ne me portent pas dans leurs cœurs. Même mon père, notre roi, ne veut pas m’écouter.

— Vous espérez que je change quelque chose à cette situation ?

— Naturellement. Vous changez déjà quelque chose. Notre évêque s’est réveillé et ne laisse plus notre roi tranquille au sujet d’Ennead. C’est un petit miracle. Certains se demandent même si la Couronne de Kether elle-même se mêle de l’affaire. 

Burrhus sourit, satisfait.  

— Eh bien. Par la grâce d’EL, je finirai par obtenir ce pourquoi je suis venu. La rédemption véritable de Michaël Fitzarch. Et si par la même occasion, cela chasse les ténèbres qui nichent chez Ennead, tant mieux. 

— Sachez que je ferai tout en mon pouvoir pour vous aider. Je n’ai pas peur de m’impliquer sur la voie de la lumière !

Burrhus se gratta le menton, faisant mine de réfléchir. 

— Je crains que la seule insistance de Monseigneur Montseron ne suffise pas à faire avancer les choses dans la bonne direction. Un nouveau conflit entre séraphins et vertus ne ferait que raviver de vieilles blessures. Le changement doit venir des vertus elles-mêmes. 

— Mmh, je ne vois pas comment mes frères pourraient se remettre en question… Seule une pression des séraphins comme vous pourraient les forcer à réintégrer la lumière de l’Ecclésia.

— Il me faut discuter avec ces gens, expliqua Burrhus. Avec Raphaël, avec votre père Daniel aussi. Et surtout, avec Michaël Fitzarch. 

— Michaël n’est qu’un symptôme de notre problème, argua Saël. Concentrons-nous plutôt sur sa cause : Raphaël.

— Non. Michaël est notre porte d’entrée. C’est en mettant à jour ses méfaits, en amenant sa rédemption, que nous remettrons en question le règne de Raphaël auprès de tous. Ce que chacun pense être un Fitzarch indiscipliné est en réalité un dangereux déviant que l’archange-prince protège sous son aile. Après cette révélation, vos frères et votre père ne pourront qu’ouvrir les yeux. L’Ecclésia retrouvera sa place légitime dans les affaires d’Ennead et éloignera les ténèbres de la chorale. 

— Par EL, vous avez raison, s’émerveilla Saël. Cette affaire est notre opportunité. Mais comment atteindre Michaël ? Notre petit Fitzarch est bien caché. 

— Caché ? A-t-el disparu ?

— Non, non. El est dans le gynécée, dans les bras de sa mère-azoha. 

— Ah…

— El y est confiné jusqu’à nouvel ordre. Le temps que l’affaire passe. Mais cela risque de prendre un certain temps…Les remous je vous dis ! Les remous ! On ne parle que de ça !

Burrhus dû dissimuler un certain agacement face aux minauderies de l’archange-prince. 

— Je pense que vous pourriez m’aider, Saël, dit-el. 

— Avec plaisir ! Mais comment ?

— Vous êtes un fils, un mari, n’est-ce pas ?

— Oui ! Ma mère Jania est une matriarche de renom dans le gynécée. Et j’ai cinq épouses !

— Qu’EL soit loué. Je me demande… Et si vos azohim pouvaient me mettre en relation avec la mère de Michaël ? J’aimerais m’entretenir avec elle pour lui expliquer la situation, dans un esprit de miséricorde, de bienveillance. Il est important qu’elle comprenne le destin sinistre qui se présente à Michaël si el n’effectue pas une réelle rédemption. Et si Ennead reste dans les ténèbres. 

— Oh ! Quelle ingénieuse idée ! sourit Saël. Je pense qu’Ophélia sera ouverte au dialogue. Elle n’a rien à perdre, si cela se fait discrètement. Toute azoha veut le meilleur pour ses enfants. 

— Naturellement, se réjouit Burrhus.

— Naturellement ! répéta Saël.



Quelques jours plus tard, un vaisseau privé, sobre et luxueux vint chercher Burrhus à la cathédrale. À l’intérieur l’accueillit Saël, un grand sourire aux lèvres. 

— Je vais vous présenter notre sublime Sanctuaire !

Le vaisseau s’éleva entre les tours titanesques du centre-ville, en direction du complexe capitolin. Le Sanctuaire de Kokab était un palais aux dimensions absurdes, fait d’innombrables structures de mercure liquide.

— C’est mon ancêtre, le Méta-Mercurion, qui bâtit cette merveille après la Seconde Brisure, expliqua Saël. Après être devenu archange, j’ai moi-même établi mon domaine dans l’une de ses tours, que j’ai façonné à mon goût…

— Mmh mmh, grommela Burrhus. 

— Vous êtes originaire de Kether n’est-ce pas ? Avez-vous connu le Sanctuaire de Rahab ?

— Quelle est l’ambiance à la Cour ? coupa Burrhus, indifférent.

— Inconfortable, avoua Saël. Les vertus sont irritées par la petite inquisition menée par Montseron. Daniel fait mine d’ignorer la situation. El s’occupe d’échanger avec Guebourah, qui ne cesse de demander des renforts à ses voisins. Notre roi ne vous accordera surement pas d’audience. 

— Raphaël sera-t-el présent ? demanda Burrhus. 

— Non. El ne se montre plus depuis plusieurs semaines. La rumeur court qu’el a été gravement blessé à Sicad, par le souffle de Nukvah. 

— El en a réchappé de peu, commenta Burrhus, songeur. 

Le vaisseau monta vers le sommet du Sanctuaire. La lumière du rayon des âmes qui en émanait devint aveuglante, les chants des élohim, assourdissants. Le vaisseau vibra sous la force des éléments. Au bout de longues minutes, le convoi de Saël entra dans le Sanctuaire, via un large hangar métallique. Là, l’archange débarqua avec son colossal invité, qui attira les regards des autres nobl’ailes qui circulaient avec leurs suites. Burrhus les observa, de haut. Els portaient tous des habits étincelants, luxueux, extravagants. 

— On voit que la semaine de la mode est passée par là, ria Saël.

Burrhus et l’archange-prince progressèrent dans un large couloir feutré. Une nuée de vertus-hôtes les accueillirent chaleureusement, leur proposant divers services. Saël décida de grimper sur un chariot pour faire son entrée à la Cour sans le moindre effort. Burrhus n’eut d’autres choix que de monter avec el. 

La Cour de l’archange Daniel était le cœur de la gouvernance du royaume de Hod. Dans ses couloirs feutrés, des milliers de hauts-fonctionnaires circulaient à toute vitesse, avec leurs suites de vertus administratives, toutes formées par la Chapelle Hermès. Els étaient plongés dans le réseau EL en permanence, planifiant, négociant, préparant des discours et des réponses à tous les sujets qui animaient le royaume. Sur des écrans de cristal, les chaines infos des Cieux étaient diffusées en continu. Les vertus se tenaient informées de tout, tout le temps. Elles analysaient pour mieux organiser, prévoyaient pour mieux exécuter. 

Saël l’avait dit, le sujet prédominant était celui de Guebourah, le royaume Forteresse, qui pétitionnait son voisin Hod pour l’envoi de troupes de vertus. Chaque command’aile des chorales Milicent, dédiées au support militaire, négociait ardemment leur contribution. La question sensible n’était pas la capacité des renforts, mais l’opinion des élohim de Hod, qui s’agaçaient de l’incapacité de Guebourah de tenir seul face au front de l’Abysse. Ainsi, diplomates et politiciens s’arrachaient les cheveux pour pousser les vertus de Hod à coopérer. 

— Nos politiciens tournent au jus de grenade, avoua Saël. Pas facile de convaincre nos citoyens.

Convaincre… Pourquoi les élohim de Hod devaient-els être convaincus de combattre les démons ? De contribuer au Grand Dessein ? C’était leur devoir. 

— A Kether, les choses ne se passent pas comme ça, dit Burrhus. 

— Oh, c’est bien connu, ria Saël. Personne ne défie les décisions du Métatron. Je peux vous assurer de notre archange Daniel l’envie. 

Burrhus grommela. Agacé, el tenta d’ignorer la frénésie qui l’entourait et observa la beauté de la Cour. Les murs du palais royal, niché au sommet du Sanctuaire, étaient fait de mercure et de roche ocre. Ils étaient ponctués de magnifiques vitraux représentant diverses scènes, paysages, ou des symboles abstraits. Les primordieux étaient souvent représentés, ainsi que Sandalphon et les péripéties de sa longue existence. La lumière qui passait au travers de ces vitraux teintait de couleurs chatoyantes les environs. À certains carrefours, de colossales statues de mercure liquide étaient érigées, changeantes, presque vivantes. Les vertus descendantes du Méta Mercurion, telle que la dynastie de Daniel, s’amusaient à les remodeler. La plupart représentaient des symboles abstraits, des nombres, des figures, des formes que Burrhus ne comprit pas. 

— Ce sont des symboles mathématiques, expliqua Saël. Ils sont sacrés ici. Ils représentent la richesse de nos esprits, la puissance de notre rationalité. Certains osent dire qu’els sont les véritables souverains de Hod. Je dirai plus qu’ils sont nos guides. 

La rationalité froide, un guide ? Cela expliquait beaucoup de choses. Burrhus secoua la tête. Ici, à la Cour de Kokab, pas une seule représentation de la souveraine éponyme n’avait survécu. 

Après un trajet de plusieurs heures, Burrhus et Saël parvinrent enfin au centre du palais royal. Els descendirent de leur chariot et entrèrent dans la salle du trône, titanesque, décorée de mercure et d’ambre. Sur un trône de mercure liquide, l’archange-roi Daniel siégeait, recevant les sollicitations de ses plus nobles sujets. Le souverain était un être de mercure immense, à peine élohien, couronné d’un halo éblouissant. En l’observant, Burrhus découvrit que l’archange et son trône ne faisaient qu’un. Le séraphin réprima une grimace. 

Alors qu’el avançait dans la salle, Burrhus attira l’attention des command’ailes des plus grandes chorales du royaume. Els le reconnurent sans difficultés et lui envoyèrent des regards noirs. Non loin, ne tenaient aussi les conseillers de Montseron, venus faire pression. Mais Daniel ne leur prêtait pas attention. El discutait avec un nobl’aile étranger. C’est là qu’au pied du trône, el l’aperçut. Une grande domination aux cheveux rouges. 

— Oh, tiens, son excellence Satanachia est là, vit Saël. El vient négocier pour Guebourah. 

— Daniel m’a l’air bien occupé, constata Burrhus. Et si nous allions rencontrer la personne pour qui nous sommes venus ici ? 

— Ah, oui, bonne idée. Elle n’est pas loin. 

Saël et Burrhus s’envolèrent alors vers le gynécée royal du Sanctuaire, qui se trouvait dans une tour distincte. Impossible pour un étranger comme Burrhus d’y pénétrer, même si le gynécée était géré par l’Ecclésia. Mais il arrivait souvent que les azohim en sortent. Pas pratique pour les élohim de devoir en permanence se rendre au gynécée pour aller voir leurs compagnes. Au fil des siècles, les règles imposées par le Porteur de Lumière s’étaient assouplies, et les azohim du Sanctuaire pouvaient y circuler, dans des espaces dédiés tant qu’elles étaient accompagnées par leurs gardiens. 

Ainsi, Saël mena Burrhus dans un grand jardin, niché tout près de la tour du gynécée royal. Installé en intérieur, la technologie des ophanim donnait à cet espace un ciel ensoleillé plus vrai que nature. Cependant, ce “jardin” ne ressemblait pas aux paysages végétaux des mondes-fertiles de Malkouth. Le parc était typiquement hodien, avec ses lacs de mercure et un désert de sable doux et ocre. Là, des centaines d’azohim venaient promener leurs enfants, qui déambulaient en groupes babillards sous la stricte surveillance de séraphins gardiens. Les azohim étaient toutes couvertes de la tête aux pieds, se dérobant aux regards parfois trop insistants des élohim.

Dans ce jardin, Saël mena Burrhus à un petit pavillon de briques, qui abritait des salons privatisables où les familles pouvaient se réunir, papa éloha, maman azoha, et leurs innombrables enfants. Saël invita Burrhus à s’installer dans un de ces salons pour y patienter. 

— Je vais aller la chercher.

— Bien.

Burrhus attendit une heure. Saël revint alors, avec une azoha anonyme, qui s’installa derrière un paravent, comme le voulait la bien séance lors de telles rencontres. Saël commença à glousser. L’azoha le coupa. 

— Vous, sortez de là. Je vais parler au séraphin seule. 

— Pourquoi donc ? s’étonna Saël. 

— Je ne me méprends pas sur vos intentions. Vous êtes là pour nuire à Raphaël, et ce n’est pas mon but. Alors sortez !

Burrhus fit un geste vers l’archange, comme pour le rassurer. Ce dernier finit par céder. Burrhus et l’azoha se retrouvèrent seuls. C’est alors que l’azoha surgit de derrière le paravent. El retira son voile et plongea son regard glacial dans celui de Burrhus, comme pour le défier. 

— Ophélia, ronronna Burrhus. Je suis honoré de vous rencontrer.

— Je ne le suis pas, répondit Ophélia.

— Ah ? 

— Vous n’êtes qu’un séraphin à la tête dure et à l’esprit irrationnel. Un spécimen typique.

Burrhus sourit, amusé. 

— Et pourtant vous avez accepté de me rencontrer, releva-t-el.

— Pour vous rappeler que vous avez déjà reçu des avertissements, expliqua Ophélia. Votre quête est vaine. Passez votre chemin. 

Burrhus sonda un instant l’azoha du regard, admirant sa beauté fière, son courage.

— Je ne suis pas là pour faire la pénitence de Michaël, révéla alors Burrhus. Ou pour une quelconque rédemption. 

— Que diable voulez-vous ?! s’énerva Ophélia. 

Burrhus ricana. Ophélia leva un sourcil circonspect. Le séraphin raconta alors :

— Il y a vingt ans, le Grand Architecte en personne a requis de l’archange Daniel qu’el lui offre une de ses demoiselles. Cette demoiselle s’est rendue à Tiphéreth, dans le Palais d’Argent, et a eut l’incroyable privilège d’être honorée par le souverain des Cieux. El lui a donné un enfant, un petit Michaël Fitzarch. 

— Je connais le déroulé de ma propre vie, merci, s’agaça Ophélia.

— La demoiselle s’est-elle un jour demandée quelle était la raison derrière cette petite aventure ?

Ophélia resta stoïque, le menton haut, son regard froid et fier. 

— Je ne suis pas la première azoha de Hod à être honorée par le Grand Architecte. C’est un acte de diplomatie de sa part, sa manière d’offrir un Fitzarch au royaume. 

— Nous savons tous les deux que ce n’est pas que ça. Et la demoiselle le sait. Je le vois dans ses yeux. 

— Je ne vous livrerait pas mon fils. Passez votre chemin. 

Burrhus abandonna son air narquois et plongea son regard ardent dans celui glacial d’Ophélia.

— Michaël n’est pas que votre fils. El est un vaisseau contenant une partie de l’âme du Porteur de Lumière en personne. Phosphoros, sa part guerrière, couve en el.

Les yeux d’Ophélia s’ouvrirent grand. El serra les poings, mais ne vacilla pas. Les paroles de Burrhus l’avaient surprise, mais elles n’avaient pas révolutionné son monde. Burrhus se retint de sourire.

— Qui êtes-vous ? demanda Ophélia, la voix chargée de crainte, mais sans flancher. 

— Je ne suis que l’ambassadeur d’une cause juste et ancienne, répondit Burrhus.

— Cessez vos détours !

— J’ai besoin de votre aide Ophélia. Je dois détruire le feu qui couve en Michaël. 

— Et détruire notre seul espoir de sauver la Création ?! s’indigna l’azoha. 

— Vous vous méprenez sur la nature de Phosphoros. El n’est pas un Sauveur. 

— Démon ! s’exclama Ophélia. 

Prise de peur et de colère, l’azoha saisit un guéridon attenant et le lança sur Burrhus. Elle fit volte-face, prête à fuir. Mais Burrhus para l’objet d’un revers de main et de l’autre, saisit l’azoha par le bras. El projeta son halo sur elle. L’azoha s’enflamma toute entière et tomba au sol, inconsciente, ses systèmes saturés.

— Pardonnez-moi, Ophélia, murmura Burrhus. 

Le grand séraphin se pressa. El souleva les cheveux de l’azoha et accéda au port de connexion situé sur sa nuque. Burrhus y glissa une plaquette en cristal. Ophélia reprit soudainement conscience, sursauta. Burrhus l’attrapa et la hissa sur un des divans du salon.

— Ce que vous voyez, c’est ma vie. Je vous livre la vérité. 

Ophélia lut en un éclair les données que Burrhus venait de lui transmettre. Elle découvrit l’histoire du séraphin, sa véritable identité. Elle vit le Grand Sacrifice, la nature de la Seconde Brisure. El vit la fuite de Kokab, la défaite des azélites face aux éléites. 

Elle ouvrit la bouche pour hurler. Burrhus plaqua un coussin sur son visage, étouffant sa détresse. 

— Tout ira bien. Tout ira bien, si vous m’aidez. 

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