Chapitre 4

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Les vertus-médecins au service d’Ennead examinèrent Michael pendant son sommeil forcé. Une thaumaturgie très puissante avait été appliquée sur le halo du Fitzarch pour l’endormir, suffisamment puissante pour parvenir à faire plier sa lumière d’éloha de deuxième génération, fils du Grand Architecte en personne, si proche d’EL dans sa lignée. Suffisamment puissante pour dompter Phosphoros.

C’est Kokabiel qui alla chercher cette thaumaturgie spéciale dans le coffre-fort de l’hôpital de la barge de guerre, dans un emplacement accessible que par quelques personnes bien choisies. Une fois tissé sur son halo, le sort neutralisa Michael avec une efficacité déconcertante. Le jeune Fitzarch fut transporté hors de l’hôpital, loin de Raphaël, dans une chambre du quartier sécurisé du vaisseau. Les ophanim au service d’Ennead scellèrent l’espace-temps de la petite pièce pour l’isoler totalement de l’intérieur, empêchant Michael de sortir, ou d’accéder au réseau EL. 

Allongé sur une couche sommaire, Michael rêva, ses songes remplis d’une étrange lucidité. Malgré le sort, el perçut comme instinctivement le HOD Mercuria quitter le cosmos du Royaume de Malkouth. Le vaisseau s’éleva en effet dans les dimensions supérieures des Cieux, franchissant le portail cosmique Gloriana, maintenu difficilement ouvert par des milliards d’ophanim, prisonniers d’un rituel des temps anciens dans une galaxie aveuglante. D’innombrables étoiles orbitaient autour du portail alors que tout autant de vaisseaux élohiens se massaient devant la déchirure cosmique pour la franchir, leurs coquilles de cristal tremblantes et vibrantes sous la torsion de l’espace-temps. Les vertus d’Ennead tirèrent toutes les ficelles qu’elles purent pour passer le plus vite possible, mais au seuil du portail, la Vigie qui l’administrait ne put elle-même plus rien garantir. Car le chaos régnait là où les dimensions des Cieux s’achevaient. Les prières des élohim saturaient le réseau, les chants de supplications espérant un passage sauf. L’univers de poche dans lequel Michael était prisonnier résonna avec l’extérieur, conférant surement la lucidité à son sommeil. 

Le vaisseau d’Ennead franchit avec succès le portail Gloriana, engendrant soulagement et célébration chez ses passagers. Il arriva alors sur la route dimensionnelle du Jugement, qui reliait le royaume de Malkouth au royaume de Hod. L’endroit était un purgatoire d’améthyste et de feu, où les âmes défuntes cheminaient, sous la vigilance des anges d’Ignis Amethystus, commençant leur long voyage vers EL, ou vers leur résurrection. Sur la route du Jugement, les anges faisaient plus que de veiller sur les âmes. Els les interrogeaient, leur demandant de faire un bilan honnête de leur existence charnelle tout juste achevée. Les âmes qui s’en montraient incapables ne pouvaient poursuivre leur chemin, et devaient faire demi-tour pour se réincarner à Malkouth. Mais celles qui réussissaient allaient rejoindre le royaume de Hod, étape suivante de leur voyage et destination du HOD Mercuria. 

Michael observa ce spectacle au travers de ses songes. La bulle qui l’isolait était-elle inefficace ? Ou bien sa conscience troublée lui imposait-elle, en connaissance de cause, le même bilan que les anges exigeaient des âmes ? Un retour sur les évènements passés, objectif et honnête. 

Le voyage du HOD Mercuria vers Hod dura deux semaines, durant lesquelles Michael eut le loisir de réfléchir, enfin, à ce qui s'était passé. La thaumaturgie de sommeil se dissipa, le laissant seul avec ses pensées. C’est d’abord l’horreur qui frappa Michael, réalisant le prix de son échec payé par les gardiens de Sicad. Els étaient tous morts sous le souffle de Nukvah. Désintégrés dans la terreur et le chaos, alors qu’un dernier espoir s’était présenté à els. Michael s’effondra. Recroquevillé sur son lit, el resta plusieurs jours dans un accablement total, incapable de bouger ou de penser à autre chose qu’à la mort. Tout dans son corps était tendu, son halo scintillant à peine. El avait échappé à la bataille, mais quelque chose en el s’était brisé. Sicad était omniprésente dans son esprit, une plaie ouverte qu’el peinait à comprendre, à accepter. Les événements se rejouaient encore et encore, comme un cycle infini qui le rongeait de l’intérieur.

Après une période de stupeur, des questions survinrent par millier. 

Pourquoi les choses s’étaient-elles déroulées ainsi ? Pourquoi Raphaël avait-el pris cette décision ? Et surtout, pourquoi Michaël n’avait-el pas réussi à convaincre son mentor de sauver les gardiens ? Des images surgissaient dans son esprit : les halos submergés par l’océan de ténèbres, les cris de détresse et finalement, cette lumière blanche dévastatrice, celle de Nukvah. Tout avait disparu sous cette onde. Et Michaël était là, impuissant, ramené de force par Raphaël, trop loin pour agir, trop loin pour sauver.

El serra les poings, les cœurs lourds.

— Je les ai abandonnés, murmura-t-el, la voix brisée. J’aurais dû rester, j’aurais dû me battre.

Michaël se revoyait, prêt à plonger dans les ténèbres pour tenter une manœuvre désespérée, certain que son plan pouvait fonctionner, que ses pouvoirs pouvaient, pour une fois, faire une différence. El avait ressenti une telle certitude à ce moment-là. Et pourtant, Raphaël l’avait arrêté.

Mais Raphaël avait raison, non ? pensa Michaël. Nukvah allait tout anéantir. Qu’aurais-je pu faire ? 

Nukvah avait frappé tôt. Trop tôt pour permettre à Ennead et HodArch de sauver les gardiens, alors que cela aurait été possible s’els avaient eut juste quelques minutes supplémentaires. 

Pour une fois que j’étais sur le ciel de bataille, pour une fois que j’avais la situation en main, ce sont ces stupides séraphins qui ont tout gâché. Ces derniers n’avaient que peu de regard pour les vies des élohim, toujours euphorisés par le souffle des partzufim. Ces armes de destruction massives, créés par le Porteur de Lumière el-même, étaient ce qui avait mis fin à la terrible guerre de la Seconde Brisure. Les séraphins n’hésitaient pas à les mettre à l’œuvre pour mettre fin à tout autre conflit contre les démons. 

La culpabilité écrasa une nouvelle fois Michael. Si el était resté dans la salle stratégique, peut-être aurait-el pu coordonner l’assaut des fils du Porteur de Lumière, retenant leur fureur et leur empressement. Là, el aurait pu gagner du temps pour les gardiens de Sicad. 

Raphaël aurait pu leur demander quelques instants de répit, pensa Michael. L’autorité du prince de Hod, conférée non pas par son rang, mais par sa réputation d’excellent stratège, était respectée parmi la flotte d’Éden. Son plan aurait été imposée aux impétueux séraphins par la Milice des Nids, qui menait l’assaut. Mais Raphaël n’avait pas retenu les séraphins. Pourquoi ? 

Michael savait que Raphaël voyait toujours au-delà du chaos immédiat, que ses décisions étaient souvent motivées par une rationalité froide que d’autres ne pouvaient saisir. Mais cette fois-ci, Michaël ne pouvait s’empêcher de douter. Le sauvetage des gardiens, même risqué, même impossible, aurait-il dû être tenté en priorité. 

Et si… Raphaël avait tout simplement eu peur ? pensa-t-el soudain, la gorge serrée. Cette idée l'horrifiait. Raphaël, l'archange-prince, l’incarnation du génie des vertus, n’aurait-il pas été capable de tenir son plan par pure lâcheté ? Michaël se souvenait des regards échangés sur le champ de bataille, de l’urgence dans les gestes de Raphaël, de cette colère éclatante dans ses yeux lorsqu’el l’avait rattrapé. L’archange était un fin stratège, mais Michael ne l’avait pas souvent vu pressé de s’envoler pour le ciel de bataille. Raphaël était une vertu d’intérieur, un tisseur de thaumaturgies. Et si l’archange avait simplement eu peur ? Peur des ténèbres si proches. Peur de Nukvah. 

« Non, ça ne peut pas être ça… »

Mais le doute persistait, comme une brûlure qui refusait de guérir. Peut-être que Michaël, aveuglé par sa propre volonté de sauver à tout prix, avait manqué quelque chose d’important. Peut-être que, dans son désir de se montrer à la hauteur de sa lignée, el avait refusé de voir l'évidence. El ne pouvait compter sur son propre mentor. 

Raphaël est un peu lâche, pensa Michael. Mais supporterait-el de perdre la face ainsi face à HodArch ? De revenir sur un plan élaboré avec Brenna en personne ? Si seulement Michael avait pu voir ce dernier. 

Ces pensées tournèrent dans l’esprit de Michael des jours durant. La frénésie des séraphins. Le revirement de Raphaël. Le chaos, les cris, la blancheur absolue. Le jeune Fitzarch tenta de trouver un sens à tout cela, remettant en question sa propre perception des évènements. 

Quelque chose lui échappait. Et si la bataille de Sicad était-elle déjà perdue avant même qu’el ne descende à la surface ? Ces vies avaient-elles été sacrifiées d’avance, dans un plan plus grand, qui lui échappait encore ?

Il faut que je parle à Raphaël, décida Michael. 

L’attente devint alors interminable. Le jeune Fitzarch resta strictement isolé tout le reste du voyage, ses songes ne lui permettant plus de s’échapper. Une seule pensée l’obséda, partager ses doutes avec son mentor. El devait obtenir des réponses, clarifier cette débâcle. Mais la peur grandissait aussi en el. Raphaël serait-il seulement prêt à écouter ses doutes ? Après la confrontation qu’els avaient eut, rien était moins sûr. 

Michael attendit donc, des jours durant, ou des semaines peut-être. Complètement isolé, el perdit la notion du temps. El finit par se lever de sa couche et tourna en rond dans le petit espace ovale, qui ne contenait qu’un matelas. Les murs dorés étaient nus. Michael eut l’impression d’être dans un œuf. 

Soudain, un craquement apocalyptique résonna. La fin des songes.  



Michael se réveilla sous une lumière crépusculaire. La première chose qu’el sentit fut les cailloux au sol, frottant contre sa joue. Et le goût du sable. Confus, le jeune Fitzarch se redressa, vacillant sous l'effet du vertige. Des thaumaturgies étourdissantes embrumaient son esprit. El le sentit. Les cœurs battants, el attendit que l’effet passe et découvrit peu à peu un nouvel environnement. Le ciel était mauve, le sol orangé. Sous ses mains et ses pieds, Michael sentit de nouveau un sol rocailleux. Les yeux grands ouverts, la mine hallucinée, el réalisa qu’el se trouvait dans le désert. Et pas n’importe lequel.

Perché au sommet d’une colline, Michael découvrit sous el un immense lac de mercure, scintillant sous la lumière crépusculaire de l’horizon. Là-bas, très loin, luisait la galaxie de Kokab, capitale du royaume de Hod. 

Michael regarda tout autour d’el, aussi confus qu’effrayé. Que faisait-el ici, dans le désert de Hod ? El tenta de se lever mais…

CLAC ! 

Michael retomba sur ses fesses, tiré en arrière par des chaînes de mercure solide, glaciales, enroulées autour de ses ailes et plantées à même le sol par une étrange thaumaturgie. Michael haleta, paniqué. Grelottant, el lutta pour apaiser son souffle. El tenta de tirer sur ses chaines, grimaça de douleur. Si el continuait, el finirait par se les arracher. 

Michael se rassit et continua d’observer les alentours, en quête de réponses. El leva les yeux vers le ciel et observa les étoiles qui parsemaient le cosmos de Hod. Des fleuves d’âmes lumineuses coulaient depuis le firmament en direction de Kokab, escortés par des nuées de principautés en célébration. Michael se connecta au réseau EL et chercha télépathiquement quelqu’un dans les environs. El détecta alors une nuée d’ophanim qui volaient en sa direction. Els arrivèrent sur el par dizaines, grondants et vrombissants. 

— FFFITZARCH, crachota leur leader, sa voix résonnant entre plusieurs plans de réalité. 

— Que se passe-t-il ? demanda Michael, le souffle coupé par la crainte. Pourquoi suis-je ici ?

— L’arcchange RAPHAEL vvous conffine au désertt en attendant votre pénnnnitencce. 

— Ma pénitence ? Comment ça ?

L’ophana et sa nuée remontèrent dans les cieux, semblant ignorer la question du jeune prince. Outré, Michael se leva tant bien que mal 

— Je dois parler à mon archange ! Hé ! Revenez ! Écoutez-moi ! Je suis un fils du grand Architecte par EL !

Rien à faire. Ces ophanim ne semblaient avoir aucun respect pour son statut de prince céleste. Génial. Indigné, Michael se demanda pourquoi Raphaël l’avait lâché en plein milieu du désert. Pourquoi ne pas l’emprisonner quelque part dans le nid d’Ennead ? Ou simplement à Kokab ? L’étrangeté de la situation fit grandir la crainte de Michael. Impuissant, el observa son environnement. Le désert de Hod lui était familier. El était déjà venu ici avec Ennead pour voir les vertus s’entrainer à manipuler le mercure. Michael se souvint de la première fois qu’el était venu ici, la joie qui avait porté ses ailes ce jour-là. 

Michael avait onze ans. El assistait comme tous les jours aux cours dispensés par Raphaël en personne, dans le grand amphithéâtre de cristal d’Ennead. Là, les jeunes vertus les plus talentueuses du royaume apprenaient déjà des théories thaumaturgiques complexes, l’art de tisser la lumière d’EL pour renforcer les élohim. Mais ce jour-là, au lieu d’observer les démonstrations de Raphaël, les jeunes apprentis d’Ennead furent conduits au céléstoport de la chorale. Michael avait trépigné de joie, embarquant dans un vaisseau avec une cinquantaine d’autres jeunes. Els avaient survolé l’immense Kokab, cité de cristal ambre aux tours de mercure liquides, plongées dans le feu. Puis els étaient descendu sur le désert, sous un ciel mauve perpétuellement crépusculaire. Michael avait eu l’impression de débarquer dans un monde imaginaire, rêvé. Pour la première fois, el découvrait en personne le monde au-delà de la cité. 

Les principautés accompagnatrices du voyage rétablirent l’ordre parmi la marmaille surexcitée. Raphaël les avait ensuite menés à un grand lac de mercure liquide, tout scintillant et gluant. Michael fut stupéfait, el n’avait jamais vu un lac de mercure naturel. À Kokab, le mercure coulait dans d’immenses canaux et cuves, mais ici, il reposait naturellement, paisiblement. 

— Quelqu’un peut me rappeler l’origine de ces lacs ? demanda l’archange Raphaël à ses élèves. 

— C’est la défaite de Mercurion ! s’exclama Michael. Lorsque Sandalphon s’est octroyé le royaume de Hod pour y établir les vertus, el a chassé le séraphin Mercurion du pouvoir. Ce dernier l’a défié et en punition, Sandalphon l’a transformé en mercure ! 

— C’est exact, sourit Raphaël. 

Fier de sa propre culture, Michael poursuivit son récit. 

— Après la guerre de la Seconde Brisure, Sandalphon apprit à manipuler ce mercure et créa un être avec : le Méta-Mercurion, dont la lignée maitrise aujourd’hui cette matière.

Raphaël leva lentement le bras, et une onde d’énergie pulsa autour de lui, faisant vibrer l'air. Du lac s'éleva une colonne de mercure liquide, ondulant et tourbillonnant comme un serpent argenté. L’archange la guida d’un geste élégant, ses doigts fins dessinant des motifs complexes dans l’air. Le mercure suivait ces mouvements avec une grâce hypnotique, se déployant en un filet fin mais solide, ses mailles étincelant comme une constellation sur le fond du ciel mauve. 

Chaque geste de Raphaël imprégnait le filet de pouvoir : el traça un cercle parfait dans l’air, et le mercure pulsa d’une douce lumière dorée, formant un bouclier protecteur. El effleura les mailles, et des éclats de lumière jaillirent comme des flèches, prêtes à transpercer les ténèbres. D’un autre mouvement fluide, el dessina une spirale complexe, y gravant des runes anciennes et sacrées qui renforcèrent sa structure, faisant luire le filet d’un éclat éblouissant.

À chaque mouvement, des éclats de lumière dansaient autour de ses doigts, et les jeunes spectateurs, éblouis, voyaient les tissages se métamorphoser sous leurs yeux. Une onde d'apaisement suivit l'incantation, imprégnant le filet d’une aura protectrice, apte à guérir ceux qu’il toucherait. Puis, dans un dernier geste majestueux, Raphaël ouvrit grand ses ailes d’argent, et un voile de lumière pure s’abattit sur le filet, finalisant l'œuvre. Le filet, désormais imprégné de thaumaturgies de guérison, de protection et de destruction, brillait comme un joyau céleste, plus magnifique et puissant que jamais.

Les jeunes vertus d’Ennead applaudirent à tout rompre, les yeux brillants d’adoration. Kokabiel s’était alors approché de Michael, paré dans ses atours. 

— Ne souffres-tu pas d'envie ? avait demandé Kokabiel. 

— D’envie ? Non pourquoi ?

Michael n’était pas de la lignée du Méta-Mercurion, et ne pouvait donc pas manier le mercure comme le faisaient Raphaël et ses frères. 

— Je suis un fils du Grand Architecte, rappela Michael. J’ai la force nécessaire pour développer mes propres talents.

— C’est pas faux, avait admis Kokabiel, taquin. Tu as du potentiel, mais tu n’est encore qu’un petit éclat de lumière niché dans un mouchoir de soie.

— La faute à qui ? avait accusé Michael. 

À ce moment-là, une déflagration avait résonné dans le ciel crépusculaire de Hod. Un filament de ténèbres s’était glissé dans l’espace-aérien, réduisant un vaisseau à néant. Raphaël était alors comme tombé du ciel, rassemblant ses élèves sous son filet protecteur. 

— Rentrez-tous ! Immédiatement ! avait ordonné Raphaël en désignant la navette d’Ennead. 

— Une attaque ?! s’était exclamé Michael. Si près de la capitale ?!

La jeune vertu lut l’expression atterrée de Raphaël. La frustration et non l’étonnement, brillait dans ses yeux. Ce genre d’attaque était habituel ? Michael, niché dans les quartiers d’Ennead depuis sa naissance, n’en savait rien. 

— On doit aller les secourir ! s’était exclamé Michael en se précipitant sur son mentor. 

— Tu es un enfant Michael, pas un soldat. 

— Rentre dans le vaisseau, gamin ! ordonna Kokabiel. 

Michael lança un regard insistant à Raphaël.

— Tu ne vas pas les aider ? demanda-t-el.

— Ma priorité est de te… de vous protéger. Aller ! Obéis ! 

Michael, les cœurs battant à tout rompre, n’avait eut d’autre choix que de se réfugier avec ses camarades dans la navette d’Ennead. Cette dernière les avait alors ramenés à Kokab en rasant le sol rocailleux du désert, restant le plus loin possible de la conflagration ténébreuse. 

Michael n’avait pu revenir voir les merveilles du désert que cinq ans plus tard, une éternité pour son jeune esprit. Le jeune Fitzarch avait demandé des semaines durant à revenir ici, espérant étonnamment revoir une inclusion démoniaque, pour pouvoir cette fois intervenir, que Raphaël le veuille ou non. Gardant son espoir pour el, el avait fini par user l’archange suffisamment pour qu’el accepte. Cette fois, els n’étaient venus qu’à quatre, avec en plus un petit groupe de puissances de la Gloire pour les escorter. Kokabiel était venu, ainsi que la domination Constantiel, le bras droit de Raphaël. Un peu excentrique, Constantiel avait décidé de se baigner dans le lac de mercure, espérant y éprouver une sorte de transe qui lui provoquerai des visions prémonitoires. Assis sur le rivage, Michael, quant à el, avait fixé le ciel avec une appréhension impatiente. Le voyant scruter ainsi le firmament, Raphaël n’avait pu s’empêcher de soupirer, entre amusement et désespoir. El s’était assis en tailleurs, à ses côtés. 

— T'attends-tu à une nouvelle attaque ? Rassure-toi, l'espace aérien de Kokab a été sécurisé ces dernières années. Grâce à notre travail, en partie. 

— Vraiment ? avait soufflé Michael. Je savais pas. Je sais jamais rien.

— Cela ne durera pas. Tu sortiras bientôt des salles de classe pour rejoindre ma table stratégique, annonça Raphaël. Là, tu pourras étancher ta soif d’action. 

Michael avait alors enfin décroché son regard du ciel, pour planter ses yeux perçants dans ceux de son mentor. 

— Pourquoi ? demanda Michael. Je ne suis pas ton meilleur élève dans ce domaine. La table stratégique est réservée aux esprits les plus affutés. D’autres méritent d’y entrer avant moi. 

— Tu es le plus prometteur, affirma Raphaël. 

— Mensonge. Je suis puissant, je peux projeter mon filet très loin et tisser rapidement, mais je ne suis pas un fin stratège. Ma place est sur le ciel de bataille. La pratique avant la théorie pour moi, merci. 

Raphaël avait pincé ses lèvres. 

— La théorie sied mieux à ton statut Michael. Je te l’ai dit de nombreuses fois. Tu dois l’intégrer. 

— Mon statut ?

— Tu es un Fitzarch. Ta graine est trop précieuse pour être risquée sur le ciel de bataille. 

— Il y a bien assez de Fitzarch comme ça, avait rétorqué Michael. Je ne suis pas si précieux que ça !

— Si, tu l’es.

— Ce n’est pas sur la table stratégique que je vais trouver de l’action ! avait protesté Michael. 

— Tu ne sais pas de quoi tu parles, avait ri Raphaël. 

L’amusement de l’archange avait un peu calmé la peur de Michael face à la frustration et l’ennui qu’el s’imaginait ressentir enfermé dans une salle stratégique, à voir les autres se battre à sa place. Mais une autre peur était alors née. Celle de l’inadéquation, de l’incapacité. 

— Je suis une brute moi ! avait alors protesté Michael. J’ai besoin de violence ! D’action ! De combat ! Avec à mon filet, je remplierai les milices de ma puissance et elles terrasseront les démons grâce à moi !

Raphaël avait alors éclaté de rire. Les échos de sa moquerie résonnaient encore dans l’esprit de Michael alors qu’el émergeait de ses souvenirs, prisonnier du désert. Sous le poids de la fatalité, le jeune Fitzarch ploya, se recroquevillant au sol. La fraicheur des environs l’anesthésia, alourdissant ses paupières. 



Dans le désert, l’atmosphère se remplit d’une brume violette, d’échos de songes et de souvenirs. Le lac de mercure gonfla pour devenir une mer, un océan, qui engloutit tout atour de la colline. Une Lune en émergea alors. Elle se posa sur la surface. Dessus était assis l’archange Brenna, des HodArch. Michael l’entrevit et se redressa, étrangement calme. Brenna l’observa intensément, la mine grave.

— Brenna ! appela Michael. Enfin… Enfin quelqu’un ! Il faut que tu m’aides à rentrer !

L’archange ne dit rien, restant immobile et inexpressif. L’indignation gonfla les cœurs de Michael mais une chape froide l’empêcha de l’exprimer. Il faisait froid ici, si froid. 

— Je comprends pas ce qu’il se passe, souffla Michael. 

— Tu ne sais donc rien ? demanda Brenna, le ton doux, mais attristé. 

— Non ! Je suis seul depuis… depuis longtemps… Que se passe-t-il ?

— Tu es retenu ici en attendant ta pénitence. Dans quelques jours, tu seras confié à l’Ecclésia. Les séraphins t’aideront à expier tes péchés.

— Quoi ? Quels péchés ?!

— Tu as désobéi à ton archange Michael ! Et cela a eu de graves conséquences !

— Quelles conséquences ?! C’est pas ma faute si les autres ont fait n’importe quoi ! Je n’ai fait que mon devoir ! Du moins j’ai essayé !

Brenna se mordit la lèvre. El voulu dire quelque chose, Michael le vit, mais el se ravisa. 

— Michaël… Ce que tu as fait… C’est inadmissible. Si tu avais été chez HodArch j'aurais réagi comme Raphaël l'a fait. Je t'aurais puni.

Le jeune prince bondit sur ses pieds, révolté. Sa voix s'enflamma d'une divine fureur. 

☿ — C’est lui qui a fait n’importe quoi ! On avait prévu de descendre pour sauver les gardiens. Pourtant, le moment venu el a refusé, juste parce que Nukvah était là ?! Pourquoi n’a-t-el pas fait retarder la frappe ?

— En rétrospective, les gardiens de Sicad n’étaient pas sauvables, révéla le héros de Tophana, contournant le sujet de Nukvah. Els se sont condamnés lorsqu’els ont ignoré l’alerte qu’on leur a envoyé des heures avant l’arrivée de la horde.

— Els l’ont pas ignoré ! Els l’ont juste pas reçu ! Il y a eu une corruption. Leur chérubin me l'a dit. 

Michael fut surpris par ses propres mots. El se rappela alors du chérubin Nakirée, et un sentiment de culpabilité l’envahit. El n’avait pu sauver ce chérubin et son jeune fils. Brenna prit une expression pensive.

— Dans ce cas leur mort est une bénédiction d’EL. Si une corruption circulait parmi eux, c’est mieux ainsi.

Michaël, qui tirait sur les chaînes qui retenaient ses ailes, tomba en arrière.

☿ — J'aurais pu les sauver quand même ! J'avais un plan !

— Ah ! ria Brenna. La fusée explosive !? C’est ça que tu voulais tenter tout seul hein ?! Ha ! Oh par EL.

— On avait dit qu'on ferait comme à Tophana ! Ensemble ! Ennead et HodArch ! Les gardiens se sont réunis comme on leur a demandé mais vous les avez abandonnés quand même ! Vous avez abandonné le plan !

— Un plan, ça change. Les séraphins ont coupé court à notre évacuation. Donc Raphaël a changé le plan et à sa place j'aurai fait la même chose. Tu aurais dû comprendre, ou du moins obéir. Ton initiative était suicidaire. Tu devrais te jeter aux pieds de ton archange pour le remercier. El a pris un risque énorme pour te sauver ta vie.

— S’el a sauvé ma vie, el aurait pu sauver celle des gardiens.

Brenna secoua la tête.

— Raphaël et moi n’avons aucune leçon à recevoir de ta part. Tu es peut-être un Fitzarch, mais tu es né hier. Tu es un enfant ignorant, ce qui est acceptable, mais en plus tu es stupide et égoïste, ce qui ne l’est pas.

— Peu importe mon âge. J’ai toutes les connaissances que le royaume de Hod peut offrir, protesta Michaël. Je suis la quintessence d’une vertu et surtout, j’ai un courage que vous n’avez pas.

— Michaël, tu as vingt ans !

— Et alors ?

— J’en ai trois mille cinq cents ! Et Raphaël mille de plus ! Et puis tu as participé à quoi ? Cinq ou six sorties dans le cosmos avec Ennead ? Depuis ta sortie du nid tout ce que tu as fait c’est fourrer ton nez dans de la documentation ou gesticuler dans des simulations. Tu n’as aucune expérience sur le ciel de bataille.

☿ — La faute à qui ? Moi je demande que ça de me battre ! Enfin, de tisser sur nos combattants. C’est vous qui me confinez dans vos vaisseaux et vos sanctuaires !

— Oui, mais c’est pour une bonne raison. De toute évidence, tu n’es pas prêt pour assumer un rôle de vertu militante.

Michaël resta bouche bée quelques secondes. Brenna continua :

— Ton courage et tes pouvoirs sont précieux. Ils seront préservés dans le sanctuaire de Kokab jusqu’à ce que tu deviennes mentalement mature.

Soudain, le vent se leva, dissipant la brume. Un soupir glissa sur la surface de l’océan. Crac ! La lune sur laquelle se tenait Brenna se fissura. Le grand Fitzarch sursauta. L’astre craqua et sa coquille s’entrouvrit. Un élohim était à l’intérieur ! El émergea. D’abord sa main, dotée de longs ongles verts. Puis son visage. El avait une peau pâle, des cheveux dorés, tout comme son halo.

— Siriniel ? reconnu Michael.

La domination Siriniel était le bras droit de Brenna. El pressa sa petite bouche rose dans l’ouverture de la lune.

— Michaël. Michaël meurtrier ! Meurtrier ! Meurtrier !

— Hein ?

Le sang de Michaël se glaça dans ses veines. El connaissait mal Siriniel. Ce dernier était le frère de Constantiel, c’était là le seul lien qu’el avait avec Ennead. El n'avait pas participé à la bataille et n'était pas concerné par ce qu'il s'était passé. Que lui voulait-el ? Siriniel continua de parler, sans que Brenna, figé, ne semble le percevoir.

— Meurtrier ! Malgré ce que tu as fait, je t'envoie le message de mon frère Constantiel. El l'avait pour toi mais n'a pas eu le temps de te le donner. Écoute ! L'ennemi émerge des ombres de Sicad comme la lune émerge de l’océan. El t'ouvrira en deux et en mille pour purger ta flamme. Attention à ta coquille. Seule ta ruse meurtrière pourra te sauver du dragon. Puis viendra la longue marche, à la fin, une brisure irréparable. Tu n'auras qu'un reflet pour sortie. Attention à ta coquille. Attention à ta coquille. Attention à ta coquille.

Michael ne comprit pas. Quelque chose était arrivé à Constantiel ? El tenta de se souvenir mais les images d’horreur de la bataille envahirent son esprit. El tressauta et se recroquevilla sur la colline. Autour d’el, l’océan de mercure continua de monter. El vit alors Constantiel y nager, comme el l’avait fait il y a quelques années, pour entrer dans ses transes divinatoires. Or cette fois, ce n’était plus dans un lac, mais dans un océan agité, houleux. La domination lutta et finit par couler. Michael plongea à sa rescousse. Les ténèbres l’engloutirent et le jeune Fitzarch vit alors des milliers d’élohim couler tout autour d’el dans un abysse sans fond. Michael paniqua, avalant une gorgée d’eau saturée de sel. El vit alors Nakirée, inanimé sous el. Son halo était éteint, comme ceux de tous les autres. Une armée de cadavres descendait vers le néant. Suffocant, Michael perdit peu à peu la vue. Le froid absolu l’engourdi une dernière fois. Sa conscience s’éteignit. 

Le vide. 

☿ Quel ennui…

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